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Le greffe du tribunal de commerce, souvent perçu comme un simple guichet administratif, joue en réalité un rôle central dans la prévention et la détection du blanchiment d’argent. À travers la tenue du Registre du Commerce et des Sociétés (RCS), il recueille, vérifie et met à disposition des données fondamentales sur les entités juridiques. Ces informations, quand elles sont fiables et actualisées, constituent un premier rempart contre les structures opaques ou frauduleuses cherchant à dissimuler l’origine illicite de capitaux.
Dans un contexte réglementaire européen de plus en plus exigeant, le greffe est appelé à coopérer étroitement avec TRACFIN, l’ACPR et les autorités judiciaires. Cet article, conçu comme un guide analytique, décrypte le fonctionnement du dispositif français, compare les pratiques au niveau européen, présente des études de cas concrètes et propose des perspectives d’évolution pour renforcer encore l’efficacité de ce maillon institutionnel.
Depuis la directive européenne AMLD4 transposée en 2017, la France n’a cessé de renforcer ses obligations de déclaration et de vigilance, avec l’AMLD5 en 2020 et l’AMLD6 en 2021. Le Code monétaire et financier intègre désormais des articles précis encadrant la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT), imposant à tous les acteurs, y compris le greffe, de contribuer au partage d’informations. TRACFIN analyse plus de 50 000 déclarations de soupçon chaque année, tandis que l’ACPR surveille la conformité des établissements financiers. Le parquet national financier intervient quant à lui pour diligenter des enquêtes approfondies lorsqu’un lien avec une infraction grave est établi.
Le greffe puise sa légitimité dans les articles R123-1 à R123-237 du Code de commerce, qui définissent ses prérogatives en matière d’immatriculation, de tenue du RCS, de délivrance d’extraits Kbis et de dépôt des comptes annuels. Au-delà de ces missions administratives, le greffe assume un rôle crucial d’examen de la sincérité des informations fournies. En contrôlant l’exhaustivité et la cohérence des déclarations d’actionnaires, de dirigeants et d’objets sociaux, il empêche l’enregistrement de sociétés écrans ou fictives, susceptibles d’être utilisées pour des schémas de blanchiment sophistiqués.
Le Handelsregister allemand et le Registro delle Imprese italien proposent chacun un cadre similaire, mais avec des différences notables dans les délais d’inscription et le niveau de vérification documentaire. En Allemagne, l’examen préalable est limité, ce qui se traduit par un nombre plus élevé de sociétés à haut risque, tandis qu’en Italie l’obligation de faire certifier les statuts par un notaire augmente la fiabilité mais alourdit le processus. Le modèle français, avec ses échanges semi-automatisés de données, trouve un compromis entre rapidité et rigueur, même si l’interopérabilité avec les registres voisins pourrait être optimisée pour garantir une traçabilité paneuropéenne plus fluide.
À l’étape d’immatriculation, le greffe exige la production de pièces d’identité (CNI, passeport) et peut recourir à des API gouvernementales ou à la visioconférence pour authentifier les documents. La déclaration des ultimes bénéficiaires effectifs (UBO) dépasse le seuil de 25 % de détention, sous peine de sanctions pouvant aller jusqu’à 7 500 € d’amende et un an d’emprisonnement en cas d’omission. Lors de l’année 2022, plus de 1 200 demandes ont été rejetées pour absence de déclaration UBO ou incohérence dans les titres, illustrant l’impact du greffe dans le blocage précoce de structures fictives.
Le greffier analyse la correspondance entre l’objet social inscrit dans les statuts, le code APE déclaré et l’activité envisagée. Les libellés trop génériques tels que « gestion de tout commerce » déclenchent systématiquement un examen approfondi, en raison du risque de dissimulation d’activités illicites. Un cas pratique récent a vu le rejet d’une demande d’immatriculation pour une SARL dont l’objet social trop vague ne permettait pas de vérifier la cohérence avec le bail commercial fourni et le plan de financement présenté, évitant ainsi l’ouverture d’une pseudo-entreprise aux frontières de la légalité.
La liste des pièces exigées comprend statuts signés, bail commercial ou attestation de siège social, ainsi que le plan de financement et la pièce d’identité des dirigeants. Des délais réglementaires stricts s’appliquent : tout dossier incomplet doit être régularisé sous cinq jours, sous peine de rejet automatique. Le greffe utilise un scoring interne alimenté par des critères tels que la date de validité des documents, l’origine géographique des adresses et la présence de mentions obligatoires. En 2023, près de 18 % des demandes ont généré une alerte documentaire, entraînant un délai moyen de traitement prolongé de 3,8 jours.
Une étude portant sur trois dossiers réels met en lumière les anomalies détectées : premier cas, une SCI dont les associés étaient des UBO non déclarés, bloquée grâce au croisement des données RCS et INPI , deuxième cas, une SASU domiciliée dans un immeuble résidentiel sans justificatif de bail crédible , troisième cas, une SARL au capital symbolique de 1 € utilisée pour transférer des fonds sans justification économique. L’analyse fine du greffe, relayée à TRACFIN, a permis de réduire de 15 % le temps de traitement des dossiers suspects, optimisant la chaîne de vigilance.
La mise à jour des données – changement de dirigeants, transfert de siège social ou cessions de parts sociales – est soumise à des délais stricts (un mois pour déclarer). Le greffe identifie les « churners », ces sociétés créées pour disparaître rapidement, en suivant les bases historiques des mises à jour. Les statistiques 2023 indiquent que près de 22 % des SARL et 18 % des SAS modifient leurs statuts dans l’année qui suit la création, un signe d’activité légitime mais aussi un marqueur potentiel d’abus qu’il convient de surveiller plus étroitement.
Le dépôt des comptes doit être effectué via Infogreffe.fr dans les sept mois suivant la clôture de l’exercice, sous peine d’amende journalière. Le greffe utilise des outils d’analyse automatisée pour détecter des ratios anormaux – marges insolvables, absence de vérificateur aux comptes, immobilisations surévaluées. Un exemple notable de 2022 a mis au jour des immobilisations corporelles gonflées de 40 %, obligeant à une révision judiciaire des comptes et la convocation du dirigeant devant le tribunal pour éclaircissements.
Des seuils sont paramétrés pour déclencher des alarmes internes : capital social minimal, variations de chiffre d’affaires supérieures à 50 % d’un exercice à l’autre, modifications statutaires multiples en moins de trois mois. Les alertes sont transmises à la cellule AML du greffe, qui analyse et, si nécessaire, adresse un signalement à TRACFIN. En 2023, 4 200 alertes ont été générées, dont 18 % ont conduit à un signalement officiel, soit une hausse de 12 % par rapport à l’année précédente.
Une investigation détaillée a révélé un réseau de blanchiment structuré autour de cinq SARL successives. Chaque entité, créée puis radiée en moins de six mois, faisait l’objet de transferts de parts sans justification économique. Le greffe, grâce à la chronologie des mises à jour statutaires et au croisement des données bancaires fournies à TRACFIN, a permis de reconstituer le schéma : des fonds d’origine douteuse étaient injectés, redistribués puis évacués vers des destinations offshore, aboutissant à plusieurs poursuites pénales.
Le cadre juridique repose sur l’exception au secret professionnel prévue par l’article L561-15 du CMF. Les échanges se font quotidiennement via une interface sécurisée, selon un format structuré XML. Les informations prioritaires – incohérences UBO, anomalies statutaires, adresses suspectes – sont transmises dans un délai moyen de 48 heures. En 2023, 67 % des demandes émanant de TRACFIN ont été consolidées par des données RCS, renforçant la qualité des analyses financières et facilitant la détection rapide de schémas criminels.
Le greffe partage régulièrement des listes de sociétés radiées, de filiales à risque et de bénéficiaires non déclarés avec l’ACPR et la Banque de France, dans le cadre de la lutte contre le phishing et les faux organismes financiers. Lors d’une enquête fiscale préliminaire lancée en 2022, l’interconnexion des bases RCS et DGFiP a permis de déceler des montages transfrontaliers dissimulant plus de 3 millions d’euros de TVA indûment récupérés, entraînant le gel des comptes et la relance simultanée des procédures de redressement.
Grâce au réseau E-Justice, le greffe accède de manière automatisée aux registres des États membres de l’UE, ce qui facilite la comparaison des données RCS avec le Handelsregister ou le Registro delle Imprese. L’accord post-Brexit FR-UK garantit un accès limité mais sécurisé aux extraits du registre britannique. Par ailleurs, un projet pilote de data-sharing avec Europol et OLAF, lancé en 2023, vise à enrichir les enquêtes financières transnationales par le croisement systématique des informations sur les bénéficiaires effectifs.
Le greffe expérimente un système de machine learning capable d’identifier des patterns inhabituels dans les libellés statutaires et les flux financiers déclarés. Alimentée par un data lake contenant les données RCS et des sources externes comme ORIAS ou l’INPI, l’architecture modulaire permet de tester des algorithmes de clustering et de détection d’anomalies. Les KPI suivis incluent le taux de faux positifs (actuellement à 6 %), le coût de traitement par alerte et la vitesse de détection, avec un objectif de réduction de 20 % des délais d’analyse d’ici fin 2024.
La méthodologie « GREFFE SAFE » combine variables qualitatives (gouvernance, complexité structurelle) et quantitatives (montants inscrits, nombre de modifications statutaires) pour attribuer un score de risque à chaque dossier. Un score supérieur à 80/100 déclenche un plan d’action renforcé : enquête approfondie, vérification auprès de partenaires financiers, et transmission prioritaire à TRACFIN. Le pilote 2024 a déjà permis de classer 35 000 entités en « haut risque », aboutissant à 1 200 signalements formalisés.
Infogreffe Open Data met à disposition des fichiers sur les radiations, les modifications statutaires et les cessions de parts, accessibles via une API RESTful. Les enjeux de sécurité impliquent l’anonymisation des données sensibles, notamment les adresses personnelles des dirigeants. Plusieurs FinTech exploitent ces flux pour proposer des solutions de compliance automatisées, soulignant l’importance de la transparence tout en préservant la confidentialité des informations critiques.
Le greffier peut voir sa responsabilité engagée en cas de faute simple ou lourde dans la tenue du RCS, selon les articles 1382 et suivants du Code civil. Les préjudices indemnisables incluent les pertes financières pour des tiers induites par l’enregistrement d’une société frauduleuse ou une radiation abusive entraînant l’impossibilité pour l’entreprise de fonctionner. La jurisprudence récente (Cour de cassation, 2022) a condamné un greffe à 200 000 € de dommages et intérêts pour diffusion tardive d’informations entravant la recapitalisation d’une PME légitime.
Le code pénal, notamment l’article 441-6, punit la non-déclaration d’éléments suspects au titre de la LCB-FT. Un greffier omettant de signaler des incohérences peut faire l’objet d’une procédure disciplinaire interne, avec le procureur de la République autorisé à saisir la commission de discipline. Sur les cinq dernières années, 14 procédures pénales ont été ouvertes contre des auxiliaires de justice, souvent pour complicité passive dans des montages de blanchiment, dont 9 ont abouti à des peines d’emprisonnement avec sursis.
Le dirigeant visé par un signalement abusif peut engager un référé-judiciaire pour obtenir une levée rapide de l’alerte, ou saisir le tribunal compétent pour contester la légitimité du refus d’immatriculation. Des cas de contentieux documentent des décisions rendues en faveur des entreprises ayant apporté la preuve de la stricte conformité de leurs statuts. Pour éviter ces litiges, le greffe applique désormais une checklist interne avant tout refus, garantissant la proportionnalité et évitant les notifications erronées.
L’avenir s’oriente vers la création d’un guichet unique où les flux déclaratifs RCS, UBO et ceux relatifs aux sanctions internationales seraient agrégés. Un tel schéma cible réduirait les redondances administratives et améliorerait la cohérence des données. Toutefois, les enjeux RGPD et la souveraineté nationale devront être pris en compte pour définir les périmètres de partage et les modes d’accès, afin de garantir la protection des données personnelles tout en assurant une traçabilité maximale.
L’essor du dispositif nécessite des greffiers formés aux techniques d’analyse financière et aux typologies de fraude. Des plans de formation continue, incluant des certifications telles que Certified AML Specialist, seront déployés dès 2025. Des sessions de sensibilisation croisées, co-animées par TRACFIN et l’ACPR, permettront de partager retours d’expérience et bonnes pratiques, favorisant une culture du risque partagée et un niveau d’expertise homogène sur l’ensemble du territoire.
L’intégration d’API RESTful, le recours à la blockchain pour horodater les dépôts de documents et l’expérimentation de smart contracts pour automatiser certaines vérifications statutaires constituent des pistes de modernisation. Les projets de lab, tels que « GREFFE Lab », associent start-up et services publics pour prototyper ces solutions. À terme, l’objectif est d’offrir aux professionnels un suivi en temps réel de l’état de leur dossier, tout en conservant la sécurité et la fiabilité des données.
Pour préparer une immatriculation « AML-proof », les dirigeants doivent s’assurer de la cohérence des statuts avec l’activité réelle, déclarer les UBO selon les seuils réglementaires et anticiper les besoins de justificatifs (bail, plan de financement). La mise en place d’une veille interne, via des alertes RCS automatisées et l’utilisation d’outils UDID pour consolider l’identification des parties prenantes, permet d’anticiper toute modification nécessaire. Enfin, un audit pré-création et un contrôle périodique garantissent une conformité durable et limitent les risques de contentieux.